Parmi les trois auteurs de cet article, deux ont une singularité. Tout en exerçant la dentisterie en pratique privée, le premier auteur est également pilote de ligne professionnel et le troisième possède sa licence de pilote privé. Ceci explique probablement le thème de cet article : l’adaptation des principes de la Gestion des Ressources de l’Equipage pratiqués en aviation (Crew Resourses Managment - CRM) à la dentisterie.
Pour le grand public et probablement aussi pour les personnels soignants, il est acquis que les médecins ou les dentistes ne peuvent pas et ne doivent pas se tromper : l’erreur n’est pas admise en médecine. Cette croyance est illusoire. L’étude d’accidents d’avions a en effet montré que l’humain était le plus souvent la cause du problème. L’idée des auteurs est donc de transférer les connaissances dérivées de la gestion des risques en aéronautique au monde de la dentisterie. Leur but est de proposer des solutions efficaces et applicables par tous permettant de rendre la pratique dentaire plus sûre.
Il faut prendre conscience que la complication ou l’échec sont la plupart du temps la résultante d’une accumulation de petites erreurs. Le plus souvent, ces erreurs sont « non techniques », c'est-à-dire liées au comportement humain. Ce peut être l’erreur faite par un individu à cause d’un sentiment de sur confiance, de sa fatigue ou du manque de préparation d’une procédure. Ce peut aussi être l’erreur qui surgit dans les relations au sein de l’équipe soignante en raison d’un manque ou d’une mauvaise communication. Il faut également accepter que la pratique dentaire se fasse le plus souvent dans un environnement difficile qui génère du stress pour le praticien, ce qui peut potentialiser la survenue d’erreurs. S’il était possible de ne traiter qu’un patient par jour, on pourrait imaginer atteindre une pratique sans risque mais, c’est bien entendu, impossible, d’autant plus que l’hypovigilance serait probablement la cause d’erreurs également.
L’expérience du praticien intervient pour une grande part dans l’efficacité de la réponse qui sera apportée pour compenser la survenue d’événements indésirables engendrés par toutes ces petites erreurs. Plusieurs études montrent que plus grande est l’expérience du praticien, plus sûre est sa pratique. Leurs conclusions semblent paradoxales car pour obtenir beaucoup d’expériences, il faut pratiquer beaucoup. Dans la mesure où l’erreur est inhérente à la pratique, on peut en déduire que plus on a de l’expérience, sous-entendu plus on pratique, plus on risque de faire des erreurs et donc moins on est sûr ! Cela revient à dire que novice ou expert, tout le monde est sujet à l’erreur, qu’elle soit de connaissance ou de routine. Il faut donc sécuriser la pratique en utilisant des outils de prévention. Les auteurs proposent de résoudre ce problème en mettant en avant les facteurs humains dans la pratique quotidienne.
Tout au long de leur article, les auteurs proposent des pistes d’améliorations dérivées des recherches sur les facteurs humains. Ils indiquent que la première chose à faire quand on envisage de traiter un patient est d’avoir une bonne conscience de la situation. Cette expression, empruntée à l’aviation, signifie que l’on doit être capable de détecter les facteurs et les paramètres qui permettront de poser un diagnostic. On doit aussi être capable d’interpréter ces données pour en tirer des conclusions pratiques. Enfin, on doit être capable de prévoir l’évolution de ces facteurs dans le temps. La mauvaise conscience de la situation est une des causes principales d’accidents en aviation et en médecine.
Par ailleurs, les pilotes d’avions et les dentistes travaillent tous deux dans un environnement très technique avec des collaborateurs ayant tous des responsabilités importantes. Fort de l’expérience aéronautique, il ressort que pour améliorer le niveau de sécurité, le chirurgien dentiste doit accepter de mettre en place certaines règles fondamentales pour régir le travail en équipe. Il doit ainsi accepter que ses collaborateurs aient droit à la parole dans l’établissement des protocoles, ou encore lors des contrôles croisés pendant la mise en oeuvre de ces protocoles. En effet, plusieurs études montrent clairement que prendre en considération l’opinion de ses collaborateurs améliore de façon importante la sécurité.
Un autre point important développé dans cet article est la notion de menace. Il est indispensable pour le dentiste, comme pour le pilote, d’identifier les menaces avant de commencer une procédure. La non connaissance ou la non prise en compte d’un risque augmentent considérablement la probabilité de sa survenue. C’est pourquoi il est recommandé d’utiliser des check-lists qui permettent, quel que soit l’état opérationnel du praticien, d’être certain de ne pas oublier d’évaluer les facteurs importants ou de ne pas sauter une étape dans un protocole complexe.
Les check-lists sont indispensables car l’erreur humaine est inévitable.
Les auteurs proposent ensuite une longue check-list qui se divise en plusieurs parties : la consultation (11 items) / avant la procédure (3 items) / pendant la procédure (3 items) / à la fin de la procédure (5 items) / une fois le patient parti (5 items). Certains items doivent être vérifiés tandis que d’autres doivent être verbalisés, c'est-à-dire énoncés à haute voix.
En conclusion, les auteurs affirment que l’utilisation des check-lists en pratique dentaire permet de réduire le nombre d’erreurs par l’amélioration de la conscience de la situation.
Source : Pinsky H M, Taichmann R S, Sarment D P. Adaptation of airplane crew resources managment principles to dentistry. J Am Dent Assoc. 2010, 141: 1010-18.